« J’aimerais bien avoir toutes mes dents. C’est la moindre des choses. Avoir vingt ans, c’est mieux. Avec les dents bien sûr. Il nous faut des molaires à grincer, et nous n’en avons pas suffisamment. Grande est la colère, et la rage sans denture c’est comme un figuier en pot. On dit que le figuier ramollit les cœurs des pendus. Mais qui se pend d'un figuier en pot ? Ridicule.
Respire, cela suffirait. Nous refroidirons cet air humide que tu prononces. Une eau en gouttes coulera, œuvre absolue de la vie qui te fut privée. On sait que la terre, sous tes pieds, n’est pas molle. Que la température ambiante du sol qu’on rase n’attendrit pas la vie. On sait aussi que dans les moelles épinières des cous rabaissés, se creusent des cavités, comme une flûte, longues et fines, qu’on appelle syrinx. Syrinx comme la gorge d’un oiseau qui chante. Il va boire de ton eau et son syrinx chantera. Le bec d’un oiseau est son unique dent qui reste. Gazouiller c’est mordre. Chanter est un grincement de dents. Quel beau printemps !
J’aimerais bien avoir une terre, et tout le vent. Une terre sans ossements c’est mieux. Tout le reste est vain. Et un nuage peut-être aussi, qu’on suivra en procession pour enterrer nos morts. Et un œil, tout de même. Un vrai, pour raconter toutes ces choses. Car mon œil le plus bleu est brun. On n’en voit rien. » — Marwan Moujaes
Marwan Moujaes (Liban) est lauréat du programme "2-12" de la Cité internationale des arts.